samedi 14 décembre 2013

L'étranger de Camus, le procès:Une prise de conscience tardive


Au début de sa détention, Meursault pensait comme étant libre, il songeait à être sur une plage et ne prenait les choses au sérieux, se croyant entrain de jouer. Il lui fallait quelques mois pour se rendre compte de sa vraie situation. C'est la visite de Marie qui l'a situé réellement dans l'histoire, il est prisonnier et privé de sa visite tant qu'ils n'ont pas été mariés.
Dans le tribunal, un jeune journaliste qui le regardait attentivement lui a donné l'impression d'être regardé par lui-même. C'est à partir d'ici qu'il va  voir les choses différemment. Il s'est rendu compte qu'il était intrus dans cette affaire, et il a raison, l'Occident est intrus dans le conflit Israélo-arabique. Et pour la première fois depuis des années, il a eu l'envie de pleurer, en constatant combien il a été détesté par tous ses gens. L'Occident aussi ne sème que la haine par sa politique contre les Palestiniens.
 C'est vraiment étrange ce qui lui a arrivé, pour la première fois, il a senti l'envie d'embrasser un homme, devant Céleste témoignant en sa faveur, d'ailleurs c'est un être céleste comme l'indique son nom. Mais enfin c'est de sentiment qu'il s'agit ici. Notre ami parvient enfin à regagner sa sensibilité. A vrai dire ce n'est plus une condamnation, c'est plutôt une purification. Il gagne en humanité et va reconnaître que toute la ville recomposait pour lui « un itinéraire d'aveugle[1]». Se débarrassant de son aveuglement, il va se rendre compte aux derniers moments de sa vie qu'il avait fait un mauvais choix en prenant le parti de Raymond, «Qu'importait que Raymond fût mon copain autant que Céleste qui valait mieux que lui[2]?» Ce n'est que plus tard que l'Occident se rendra compte de l'absurdité de sa décision de suivre aveuglement Israël.
L'étranger, l'insensible et le froid qui ne quitte jamais son calme, qui accepte tout et n'ose jamais refuser ou contrarier et pour qui tout est égal, va se révolter contre l'aumônier au déclin de sa vie. Il réussit, non seulement à regagner ses sensations et ses sentiments, mais aussi sa bonne volonté. Il n'est plus étranger, mais un homme sûr de lui qui sait exprimer ses avis et même les défendre.



[1] Ibidem, p.96
[2] Ibidem, p.121

dimanche 24 novembre 2013

L'étranger de Camus, le procès: une condamnation à mort sans issue

Meursault s'est trouvé face à une condamnation, l'assassinat d'un homme. Dans la scène du procès, il y avait énormément des gens, des journalistes et des envoyés spéciaux même de Paris. Cela symbolise l'universalisme du procès de l'Occident, commettant des crimes contre l'humanité. L'Histoire s'en chargera.
On a fait entrer l'accusé dans la salle du tribunal et on l'a encore fait décliner son identité et malgré l'agacement, il a« pensé qu'au fond c'était assez naturel, parce qu'il serait trop grave de juger un homme pour un autre[1].» Ce serait vraiment grave de juger l'Occident à la place d'Israël, mais si cette dernière parvienne par sa malignité extrême à en abuser, cela au moins ferait débarrasser le monde d'une agressivité aveugle et idiote.
L'accusé a été condamné pour son insensibilité envers sa maman vivante et morte, vivante en la mettant dans un asile, et morte en l'enterrant avec une extrême froideur. C'était son premier crime qui a préparé les actes du deuxième, l'assassinat de l'Arabe. Pour le premier, il n'a eu rien à dire. Et pour le deuxième, il a voulu se défendre mais la cause qu'il a donnée, le soleil, a suscité les rires. Et malgré la bonne plaidoirie de l'avocat, pour laquelle il a reçu les félicitations de ses collègues, il a été condamné à mort. Il doit mourir parce qu'il n'avait « rien à faire avec une société dont [il] méconnaissait les règles[2]
La sentence est donc prononcée. Maintenant que sa vie est en jeu, il cherche en vain une issue. Peut-on éviter la mort? Et quelle serait la solution? Une évasion? Et même en réussissant à s'évader, être abattu en pleine course par une balle est un luxe interdit. La machine de la guillotine pourrait-elle tomber en panne? Quel est le nombre de ceux qui ont échappé à la machine? Ah! La machine! Elle est posée à même le sol, contrairement à celle de la Révolution de 1789 où l'on doit monter un échafaud. Les héros ont droit à l'ascension en plein ciel, à l'élévation. Ils ont vécu en héros et doivent mourir en héros. Lui, il n'est que criminel, vivant et mourant dans la bassesse. Vraiment le déclin de l'Occident, exactement comme ses gloires, n'a rien de grandeur. Sa fin serait comme celle de Meursault, «on était tué discrètement, avec un peu de honte et beaucoup de précision[3]

[1] Ibidem, p.87
[2] Ibidem, p.103
[3]Ibidem, p.112

mercredi 13 novembre 2013

L'étranger de camus, le procès: un matricide


Le protagoniste du roman a vécu avec sa mère, mais sans parvenir à la connaître. Il en ignorait l'âge. S'avançant dans les années, et gagnant la sagesse et le silence des vieillards, il l'a jetée dans l'asile, son rôle est fini là, elle n'avait rien à lui dire et ne devenait qu'une charge pesante pour une âme purement matérialiste. Mais il a été illusoire en croyant que le silence est un non-langage, par contre il vaut mieux que la parole et traduit ce que ne peut traduire cette dernière. Lors de la seule visite qu'il a eue durant tous les mois de sa prison, il a remarqué qu'un jeune Arabe et sa vieille mère sont restés silencieux tous le temps. Ils ne se disaient rien mais se regardaient fixement, alors que les prisonniers et leurs visiteurs parlaient à haute voix autour d'eux. Insensibles à ce brouhaha, ils continuaient leur dialogue silencieux, profitant de la courte durée de la visite pour faire un échange d'émotion inaccessible pour les âmes aveugles comme la sienne.
Les considérations matérialistes sont donc prioritaires chez notre héros, et tant qu'il n'a pas eu d'argent et que sa mère a été usée et n'a eu rien à lui dire, l'asile semble être une solution tout à fait légitime. Il a même jugé qu'elle était heureuse là-bas. Mais la vérité est toute à fait contraire. Elle, et selon le témoignage du directeur de l'asile, lui a toujours reproché cet acte et a souvent pleuré, surtout qu'il ne lui a rendu que rarement des visites. C'étaient un surcharge de plus tant qu'elles lui prenaient le dimanche. Il a voulu se réjouir de sa vie sans aucun engagement envers celle qui lui a donné la vie. C'est également pourquoi il ne dissimule guère le souhait de la voir morte.
Meursault a eu son vœux, sa mère a été enfin morte, mais est-il absolument libéré de ses engagements envers elle? Pas encore. Une nouvelle fois, elle se tient obstacle devant ses projets. Il doit veiller à son enterrement.  Elle dérange ses projets vivante et morte. «Ce n'est pas de ma faute[1]» disait-il souvent, ce n'est pas de sa faute que sa mère est morte, que sa vie va se modifier un peu pour accomplir un devoir purement humain, l'enterrement de sa mère, c'est de la faute de la morte elle-même. Elle ne devait pas mourir, ou, plutôt, ne devait pas être sa mère. Maintenait, il lui attend un fardeau à faire, la scène de l'enterrement, et il va l'accomplir avec tout le calme du monde. Il a fumé, dormi et bu du café au lait «devant le corps de celle qui lui avait donné le jour[2].» Et sans pleurer ni éprouver aucune affection, il est allé l'ensevelir sous la terre, et est partit aussitôt l'enterrement fini, sans se recueillir sur sa tombe, comme un prisonnier récemment libéré. Il s'est enfuit avec sa vie suffisamment reportée et dérangée, pour aller s'en réjouir, le lendemain même. Mission accomplie, et il est actuellement libre de tout engagement même moral. Il est allé sur la plage prendre des bains, a établi une relation avec une femme et ils se sont rendus au cinéma pour se divertir, en regardant un film comique. La vie ne doit s'arrêter avec la perte d'une mère.
Sa mère avait vécu et était partie en silence. Mais son mal comportement avec elle ne pourrait passer ainsi. Il serait jugé pour son insensibilité envers sa maman que pour le crime, l'assassinat de l'Arabe. Ne l'avait-il pas vraiment tué par négligence et par méconnaissance? Il est hors de doute qu'il songe à sa mort pour s'en débarrasser, comme il est fort probable qu'il mettrait fin à sa vie si celle-ci s'allongerait au-delà de cela. Il n'est guère contre l'assassinat des proches. C'était son avis dans l'affaire du Tchèque tué par sa mère et sa sœur pour son argent. D'ailleurs, il est en vogue l'assassinat des parents. L'affaire qui suit la sienne dans le tribunal est celle d'un parricide. C'est une gradation remarquable, on ne se contente de les , mais on les tue. Et notre héros a tué sa maman, sinon physiquement, il l'a assassinée moralement. Et c'est ce qui prépare les actes du meurtre réel de l'Arabe.  C'était la conclusion du procureur qui s'écriait:« j'accuse cet homme d'avoir enterré une mère avec un cœur d'un criminel[3]
Cette scène traduit toute la vérité, l'Occident, dépourvu de son humanité, commet un crime contre l'humanité, une guerre illégitime, celle contre  Palestine.



[1] Ibidem, p.9
[2] Ibidem, p.91
[3] Ibidem, p.96

dimanche 3 novembre 2013

L'étranger de Camus:le procès

Le crime commis par Meursault contre l'Arabe, par le revolver de Raymond, dans une source de l'eau rafraîchissante, dans une plage aux sables brûlants, est une guerre déclenchée par l'Occident contre les Palestiniens, par une arme israélienne, pour s'emparer d'un pays riche naturellement par la matière la plus valeureuse à l'avenir, l'eau, dans le Sahara arabe. Meursault serait condamné pour son crime majeur et pour les crimes préparatifs. Il serait accusé d'être un monstre moral et de commettre un matricide, et serait condamné à mort. Se rendra-t-il enfin compte de la cruauté de son acte? Et réussira-t-il à se libérer de la tutelle du profiteur Raymond?

Un monstre moral

Meursault a commis son crime avec un sang froid, qui a étonné même le procureur. Celui-ci a reconnu que l'on est devant un cas particulier. Le criminel est sans âme ni principes moraux, inhumain et a un vide du cœur. Il est athée et ne croit pas à un dieu qu'il ne peut pas voir parce qu'il a un cœur aveugle. Il est de surplus un péché qui mort sans regretter son atroce crime.
Les instructions faites par le juge ont appris qu'il a fait preuve d'insensibilité. Le lendemain de la mort de sa mère, il est allé à la plage où il a rencontré Marie, ensemble ils se sont réjouis, ont pris des bains, sont allés au cinéma, ont ri devant un film comique et ont même passé la nuit ensemble. Il est insensible même à son sort, pendant la scène du procès, il n'a pas eu le "trac", par contre cela l'a intéressé de voir un procès, car il ne l'a jamais eu l'occasion dans sa vie.
Meursault est aussi un lâche, il n'a pas voulu aller chercher un agent pour sauver la fille arabe des mains du sauvage Raymond. De surplus, il a contrefait les vérités en témoignant que c'était elle qui lui avait manqué. Cela parait étrange, mais notre héros, vide sentimentalement et sans principes ni assise morale n'a rien de commun avec les humains. Rien que l'animalité ne peut le débarrasser de ses charges sociales et ses engagements envers sa mère qu'il en a espérée la mort. Effectivement tous« les êtres sains avaient plus ou moins souhaité la mort de ceux qu'ils aimaient[1].» C'est un souhait tout à fait légitime tant qu'ils deviennent un fardeau, au moins dans la conscience morbide de Meursault qui est allé jusqu'à légitimer le meurtre des proches pour s'emparer de leur argent. Ainsi, et en lisant, dans un vieux journal trouvé dans sa prison, le fait divers du Tchèque qui avait parti faire fortune et est revenu après vingt-cinq ans. Pour faire surprise à sa mère et à sa sœur qui tenaient un hôtel dans leur village natale, il s'était présenté comme un client riche. Ne l'ayant pas connu, elles le tuaient pour se suicider après avoir révélé sa vraie identité. Cette histoire lui a paru naturelle.
Un être de telles conditions peut commettre un crime sans sourciller ni quitter son sang froid. Le pire est de ne pas éprouver aucun repentir. Cela a suscité l'étonnement du juge et du procureur à la fois. Le premier a déclaré que les autres criminels pleurent toujours de remords, celui-ci a une âme endurcie, nul remords, juste un ennui. Le deuxième a conclu: « Le même homme qui au lendemain de la mort de sa mère se livrait à la débauche la plus honteuse a tué pour des raisons futiles et pour liquider une affaire de mœurs inqualifiable[2].» Ce n'est qu'un« monstre moral[3].»




[1] Ibidem, p.67
[2] Ibidem, p.95
[3] Ibid

mercredi 30 octobre 2013

La Boite à merveilles de Ahmed SEFRIOUI

Quand la réalité plate et frivole l'étouffe, quand la solitude extrême à laquelle il est condamné s'accentue, quand le monde peuplé des êtres aveuglement imitateurs, médiocres, bas et incompréhensifs l'assiège, quand il devient spectateur de sa propre vie au lieu d'en être l'acteur, Sidi Mohammed ouvre sa boîte à merveilles pour que le monde sublime et élevé de l'imagination s'offre volontiers à lui, le monde de l'invisible, du merveilleux, habité par les fées, les rois et les princesses de mille et une nuits et les démons bénéfiques, un monde où tout est grandeur, élévation et idéalisme.
Pourtant cette boîte à merveilles ne contient que des objets ordinaires sans valeur: un cabochon de verre; des clous; des boutons de porcelaine; des épingles…ce sont toute sa fortune. Mais qu'est ce qui les fait transformer en êtres merveilleux?
Sidi Mohammed, enfant de six ans, vit avec son père, le tisserand, et sa maman dans une maison partagée avec d'autres familles, chacune loue une pièce. Le rez-de-chaussée est réservé à Lalla Kanza, la chouafa ou la voyante qui fait brûler des aromates et organise des séances de hadra pour satisfaire aux démons qui occupent la maison et agissent bon ou mal sur les habitants. L'enchantement se transmet à la boîte et en fait animer merveilleusement les objets. C'est ce qu'il a cru jusqu'à présent Sidi Mohammed, mais au fur et à mesure que les événements avancent, il va découvrir que les capacités miraculeuses de cette voyante, qui établit un commerce familier avec les puissances invisibles, ne sont que de pur charlatanisme.
Le pauvre mène toujours cette vie mortellement ennuyeuse en compagnie d'une mère imitatrice comme les autres. Lui il refuse l'imitation qui ne fait que reproduire la même réalité existante. Il est innovateur et rêveur comme son père dont il souffre l'absence toute la journée, il sort tôt le matin et ne revient que tard le soir. Mais les quelques moments qu'il passe auprès de lui ont été suffisants pour nourrir son imagination par les histoires d'un certain Abdellah, l'épicier fabuleux qui ne vend rien mais raconte des histoires. Celles-ci a eu l'effet de l'enchantement sur le petit enfant qui arrive finalement à conclure qu'il est devenu enfin maître de sa boite et qu'il est seule capable de transformer ses objets. Il en possède la clé c'est son imagination.  Et tout en poursuivant sa vie, il se charge volontiers de nous décrire Fès de l'époque, nous raconte ses aventures infernales dans le bain maure et le Msid, l'école coranique. Et quand la tristesse et la solitude s'emparent de lui, il n'a qu'à aller se réfugier dan sa boite à merveilles, son échappatoire et son portail au monde virtuel où il aime éternellement exister.

lundi 28 octobre 2013

L'étranger de Camus, le crime: Une guerre par procuration


Albert Camus est habile en matière des symboles, et chacun de ses personnages symbolise un parti sur la scène politique mondiale. Raymond représente Israël, Meursault l'Occident et les Arabes les Palestiniens. Dès lors, et après le décodage de leur signification, il devient bêtement stupide de parler d'un simple crime mais d'une guerre, celle israélo-arabique dans laquelle serait introduit l'Occident en profit d'Israël. De ce fait deux histoires iront en parallèle, l'une renvoie à l'autre.     
Raymond essaye d'abord d'attirer Meursault par des objets purement matérialistes (vin, repas, cigarettes). Celui-ci, sans assise morale, va le suivre dans une obéissance aveugle. Et c'est également le cas d'Israël, s'octroyant l'appui et le soutien d' l'occident par l'autorité de ses capitaux et de ses élites parvenant au pouvoir, partout dans le monde.
Raymond va ensuite demander à son ami de devenir son copain et de lui donner un coup de main pour se venger d'une maîtresse qu'il a connue, et avec laquelle il est en brouille actuellement. Et comme Meursault ne peut refuser, il s'élance dans le contentement de son copain, en écrivant une lettre à l'ex-maîtresse, l'incitant à venir, par des termes d'amour et par un style affectueux, pour recevoir par la suite la vengeance la plus atroce de la part de son ex-amant. Et comme Raymond se croyant avoir des droits sur son ex-maîtresse, Israël se croit avoir des droits sur Palestine parce que ses ancêtres y habitaient autrefois. Elle va demander à l'Occident d'être son allié, comme elle demanderait son appui. La lettre écrite par la main de ce dernier n'est rien que les traités faits au profit d'Israël, commençant par la promesse Belfort, et passant par toutes les conventions établies pour la défendre.
Meursault serait ensuite invité à témoigner faussement que la fille avait manqué à Raymond. C'est également le rôle accompli avec réussite jusqu'ici par l'Occident, faire renverser les vérités, et le coupable devient victime et vice-versa. Il s'efforce de faire montrer Israël comme proie de la violence arabe et d'un projet de déracinement. Il devient son porte-parole dans toutes les réunions et les congrès internationaux.
Etant sûr de l'appui de Meursault, il essaierait de faire déclencher  des conflits avec les Arabes, tout en essayant de l'y faire enfoncer, tantôt par attirer son attention sur leur présence près du bureau de tabac, prétendant qu'ils les guettent, tantôt en essayant de leur provoquer, mais c'est vilain, surtout que ses ennemis sont d'une paisibilité inexcitable, ils réussissent toujours à garder leur sang froid et leur silence. Israël aussi cherche des excuses pour reconquérir le territoire palestinien, en se faisant montrée comme menacée dans son existence. C'est un enfant gâté et prêt à tout faire pour que ces désirs soient comblés. D'ailleurs il est sûr que sa mère, l'Occident, lui viendrait au secours dès qu'il commencerait à pleurnicher.
Au contraire de Raymond assoiffé pour le sang, les Arabes sont d'une paisibilité introuvable, et ne sont guère faciles à exciter. Ils ne quittent leur calme que pour se défendre ou se venger d'un outrage. Ainsi, ils surviennent sur la plage pour se venger de Raymond qui s'est mauvaisement comporté avec leur sœur. Les palestiniens aussi gardent souvent leur sang froid et réussissent à avaler leur rage, sauf en cas de leur honneur offensé, c'est impardonnable. Le recourt des Arabes au couteau pour se défendre est un passage des palestiniens à la résistance armée. Ayant une bouche et un bras ouverts, Raymond va revenir sur la plage pour se venger. En le suivant, Meursault a eu l'impression que son compagnon sait où aller. Ils sont arrivés, par la suite, à une source de l'eau qui coule dans le sable derrière les rochers. Là-bas ils ont trouvé les arabes calmes et presque contents. C'est exactement le cas pour Israël, elle sait ce qu'elle veut, l'eau, cette matière précieuse de l'avenir. Elle veut s'emparer de toutes les sources aquatiques du Moyen Orient. Mais les palestiniens étaient les premiers là, ils menaient une vie calme et paisible avant son arrivée.
Israël était sûr que cette terre ne supporte pas deux adversaires, c'est question d'existence qui nécessite l'anéantissement de l'autre. Elle n'a que prendre une guerre de déracinement contre ses ennemis, chose qui n'est pas du tout facile face à la paisibilité extrême de ses adversaires. Mais rien ne semble impossible à sa malignité et sa puissance, elle va essayer d'exciter les Arabes pour les attirer à la guerre. C'est exactement ce qu'il a fait Raymond. Il« a porté la main à sa poche revolver, mais l'autre n'a pas bougé et ils se regardaient toujours[1].» Il a voulu tirer sur lui, Meursault a pensé qu'en disant non, Raymond s'exciterait seul et tirerait certainement. Il lui a dit que l'autre ne l'a pas encore parlé. Alors il a voulu l'insulter pour le tuer dès qu'il répondrait. Et Meursault s'est intervenu une deuxième fois pour le conseiller de le prendre d'homme à homme, et de lui céder son revolver pour l'utiliser si l'autre arabe interviendrait. L'Occident est toujours prêt à imposer silence à qui veut soutenir les Palestiniens. Mais les Arabes, paisibles par nature, ont reculé, et les deux alliés sont rentrés chez eux.
La fatalité va conduire Meursault, de nouveau, sur la source de l'eau, enivré et hypnotisé par le soleil et la chaleur. Il a remarqué que le type de Raymond a été revenu seul. Il s'est reposé tranquillement sur le dos. Dès qu'il l'a vu, il s'est un peu soulevé et a mis la main dans sa poche. Meursault a serré le revolver de Raymond dans son veston. « Alors de nouveau, il s'est laissé en arrière, mais sans retirer la main de sa poche[2].» Il a pensé qu'il n'a qu'à faire un demi-tour et tout serait fini. Et au lieu de s'en retirer, il a fatalement fait quelques pas vers lui. « L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il était toujours assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l'air de rire[3].» Mais enfin quelle absurdité! Tuer quelqu'un parce qu'il semble rire! C'est une justification plus pire que le crime lui-même! Et quelle inégalité! Un homme allongé contre un autre debout; l'un recule, l'autre avance; le premier avec une arme développée efficace (un revolver qui peut tirer du loin) le deuxième avec une autre primitive (un couteau). Cela traduit toute la situation, l'Occident puissant et riche, avec tout un arsenal bien développé contre Palestine, un pays pauvre qui essaie de se lever, avec une arme primitive propre à effrayer des oiseaux.
Une autre fois la fatalité va faire son rôle, Meursault a fait un autre pas, l'Arabe a tiré son couteau dans le soleil, son étincellement a ajouté un coup à sa tête fiévreuse. Il a senti tout son être tendu, a crispé sa main sur le revolver, et a tiré «quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût[4].»Voila c'est fait, un crime par le revolver de Raymond et une guerre par l'arme israélienne.





[1] Ibidem, p.59
[2] Ibidem, p.61
[3] Ibid
[4] Ibidem, p.62

L'étranger de Camus, des personnages signifiants: les Arabes

Les Arabes commencent leur apparition dans le roman comme victime, et la finissent comme telle. La fille Arabe, l'ex-maîtresse de Raymond, est jugée, selon ses prétentions, profiteuse qui s'empare de son argent pour la gaspiller sur des choses sans importances. La vérité est tout à fait contraire, c'est lui le grand profiteur qui vit des femmes. Pour se venger de ce gaspillage prétendu, il «l'avait abattue jusqu'au sang[1].» Mais il n'en a pas son content et il veut aller plus loin dans son vengeance. Pour ce faire, il va élaborer un plan qu'il, va suivre littéralement, l'inciter à venir, en lui écrivant une lettre, coucher avec elle et lui cracher au visage par la suite.
Cette fille n'est pas la seule à souffrir de la cruauté de Raymond, son frère aussi serait son victime, il a voulu le tuer avec son revolver  et sous la demande de Meursault de le prendre d'homme à homme, surtout qu'il ne lui a pas encore parlé, il a voulu l'insulter pour le tuer dès qu'il répondrait. Le grand malheur est que Meursault lui-même ne va pas le prendre d'homme à homme, et va le surprendre allongé, et tirer sur lui comme s'il exécute une condamnation à mort.
Certes les Arabes sont représentés comme victimes, mais ils ne vont plus baisser les armes, si inégal que soit le combat, et ne sont plus prêts, quelles que soient les contraintes, à renoncer à leurs droits. Ainsi, le groupe d'Arabes va intervenir pour défendre la fille Arabe, outragée par Raymond. Une fois leur devoir accompli, ils vont se retirer doucement.
Les Arabes font leurs quelques apparitions dans des scènes de conflit, pourtant, ils sont paisibles. Allant prendre l'autobus pour la plage, Raymond attire l'attention de Meursault sur leur présence. Ils ont été adossés au bureau de tabac, en leur regardant «en silence, mais à leur manière, ni plus ni moins[2]», que s'ils étaient des pierres ou des arbres morts. Raymond a prétendu qu'ils leur ont suivis. Mais ils ont été au même endroit, regardant, avec la même indifférence, l'endroit qu'ils viennent de quitter. C'est d'ailleurs lui qui cherche les conflits, quant à eux ils aiment mener une vie calme et paisible. C'était le cas dans la source de l'eau, avant l'arrivée des deux parasites, et même après leur venue, rien n'est changé, ils ont continué à les regarder sans rien dire. Ils étaient calmes et presque contents, l'un «soufflait dans un petit roseau et répétait sans cesse […] les trois notes qu'il obtenait de son instrument[3].» Puis, et peu de temps après avoir vu Raymond porter la main à son revolver, ils se sont cloués, à reculons, derrière le rocher.
Le décèlement de la signification de ces personnages dans le roman nécessite moins d'effort que pour les autres. Le nom Arabe avec un majuscule renvoie généralement à tous les arabes, mais spécifiquement aux palestiniens défendant leur territoire, la source de l'eau, et étant victime de l'alliance Israélo- occidentale, dans un combat totalement inégal, mais refusant toute outrance ou capitulation.
Les personnages de L'étranger sont symboliques. Chacun d'eux renvoie à un acteur sur la scène politique mondiale: Meursault est l'Occident; Raymond est Israël; les Arabes sont les Palestiniens; Masson est la franc-maçonnerie et Marie est le Christianisme. Alors que l'on a arrivé à mettre au jour la signification et la symbolisation de chaque personnage, la question qui se pose, et avec insistance, quelle est la signification de chacun de leurs gestes et Leurs actions? Celle du crime qui serait commis? Et celle de l'endroit qui serait la scène des événements les plus décisifs?

[1] Ibidem, p.34
[2] Ibidem, p.52
[3] Ibidem, p.58

dimanche 27 octobre 2013

l'étranger de Camus, des personnages signifiants: Marie


Marie Gardona est la maîtresse de Meursault, il l'a rencontrée sur la plage le lendemain de la mort de sa mère. C'était une ancienne dactylo de son bureau. La relation entre les deux a été purement physique, au moins de la part de Meursault, il a déclaré maintes fois qu'il ne l'aime pas. Pourtant elle suscite ses désirs.
La pauvre devrait subir ses infamies, il ne se contente de lui déclarer à la figure  qu'il ne l'aime pas, mais il explicite, à sa présence, sa fascination par la beauté des femmes passantes. C'est le comble de misère, être attachée à un être insensible à ses sentiments, oui elle l'aime, si bizarre qu'il soit, peut-être à cause de cela et rien que cela. Ne sachant vraiment qu'est ce qu'il l'attend, elle irait plus loin et lui demanderait s'il voulait se marier avec elle, chose qu'il ne pourrait refuser ni à elle ni à n'importe quelle autre femme.
Le processus de torture va s'accentuer avec ce mariage suspendu à cause d'un crime gratuitement commis par le mari éventuel, ce qui entraînerait une arrestation. Elle n'a guère perdu d'espoir, et c'est la seule qui vient lui rendre visite dans sa prison malgré les obstacles, et qui a fait de son mieux pour le sauver à la guillotine, elle a voulu témoigner en sa faveur, et comme le procureur a su habilement en tirer profit, elle s'est mise à pleurer. C'était le seul cœur qui bat pour lui. Mais la condamnation à mort était suffisante pour achever tous ses rêves. Son rôle de victime est fini-là dans l'histoire, mais non dans l'esprit cruel de Meursault, il l'imagine donnant sa bouche à un autre.

Le prénom de Marie ne manque pas de signifiance, conjugué à son nom Gardona, et en faisant un jeu de déplacement de lettres, on obtient le mot grenade, et on connait le symbolisme de ce fruit chez les chrétiens, ses pépins symbolisent les perfections divines, l'image se clarifie. Est-elle le christianisme représenté par la vierge? Et ce mariage à contre-cœur représente-t-il le mariage entre l'Occident et le christianisme imposé forcément? A-t-il (et je parle toujours de l'Occident) bien représenté cette religion dans sa paix et sa tolérance? N'est-elle pas sa victime comme l'est Marie?

samedi 26 octobre 2013

L'étranger de Camus, des personnages signifiants:Raymond

Le personnage le plus signifiant, après Meursault, et le plus influençant dans le sort de ce dernier est Raymond. Il lui obéit aveuglement et devient, entre ses mains, une pâte souple qu'il peut en faire qui bon lui semble. Mais il a tout ce qu'il faut pour se garantir sa servitude totale, il est malin et comploteur.

Un malin 

Raymond, le voisin de Meursault, est un menteur, il prétend que sa maîtresse se profite de lui pour gaspiller son argent sur les amies, les bijoux et même sur le loto, la vérité est tout à fait différente «on dit qu’il vit des femmes […] il n’est guère aimé[1]»dans le quartier. Il vient fréquemment chez Meursault parce qu’il l’écoute.
Il est aussi malin et infidèle, il voulait attirer Marie et « n’arrêtait pas de [lui] faire des plaisanteries […] elle lui plaisait, mais elle ne lui répondait presque pas[2]. » De plus, il dit à Raymond «salut vieux» et appelle Marie« mademoiselle».Et lors de la visite au cabanon, et alors que les autres sont descendus sur la plage, il est resté seul avec la femme de Masson. Mais malgré son grand amour pour les femmes, il n’est guère pacifiste avec elles, il va frapper impitoyablement sa maîtresse jusqu’au sang.
Il est, de surplus, un profiteur qui a su utiliser Raymond en sa guise, il ne pouvait rien lui refuser, même lorsqu’il s'agit de commettre un crime, c’est un être violent qui cherche toujours les conflits et les disputes. Il est aussi têtu  et veut toujours que sa volonté soit faite, lorsqu’il a été blessé, il a voulu descendre sur la plage tout seul, et comme Masson et Meursault ont insisté pour l’accompagner, il s’est mis en colère et les a insultés tous.
Un homme de telles conditions n’a rien d’humain, c’est une âme basse, il a voulu tirer sur l’Arabe, et comme Meursault l’a conseillé de ne pas faire, puisque l’autre ne l’a pas parlé, il a voulu l’insulter et dès qu’il répondrait, il tirerait sur lui. A cette soif pour le sang, s’ajoute une méconnaissance même envers l’homme qui a du tuer pour lui, il ne lui a rendu aucune visite en prison.
 En somme, il a fait conjuguer toutes les vices qui vont le préparer pour jouer un rôle sale dans l’histoire.

Un comploteur

Raymond a préparé un plan élaboré avec beaucoup de génie et de malignité à la fois, Meursault ne serait qu’un outil intelligemment utilisé. D'ailleurs il serait comment acheter son obéissance, il l’a profondément étudié et a conclu qu’il est un matérialiste dépourvu de toute affection, et a su bien en considérer le prix. Effectivement un repas, du vin, et quelques cigarettes étaient suffisants, mais pour s’assurer de sa servitude, il lui «a offert une fine. Puis il a voulu faire une parti de billard[3]» et notre héros a perdu justesse. Il s’est appliqué de contenter Raymond, il n’a pas de raison de ne pas le contenter.
S’assurant que le fruit est suffisamment mûri, il passe à la deuxième étape, exécuter à la lettre sa stratégie, il lui a demandé d’abord s’il voulait être son copain, et il a simplement accepté. Puis Il lui a raconté qu’il avait une maîtresse profiteuse qui avait gaspillé son argent sur des choses peu importantes, et pour se venger il l’a battue jusqu’au sang. Mais  le désir de se venger l’emportait toujours, et il a besoin de son aide pour mettre au jour une idée qui le tourmentait depuis quelque temps, c’est de lui écrire une lettre, l’inciter à venir et après avoir couché avec elle, il irait lui cracher au visage. Il lui a chargé de l’écriture de la lettre. Ayant exécuté à la lettre le plan, une dispute s’est déclenchée chez Raymond entre lui et la fille Arabe, et a exigé l’intervention d’un agent qui a giflé Raymond, jugé sauvage et inhumain par tout le voisin. Il fallait que Meursault lui serve de témoin que la fille lui avait manqué, et c’est ce qu’il a fait sans hésitation.  
 Ensuite il lui a invité à passer le weekend chez un ami, dans un cabanon près d’Alger. En vérité il avait peur d’un groupe d’Arabes parmi lesquels le frère de la fille.  En arrivant sur la plage, il lui a emmené vers une source de l’eau. En le suivant, Meursault avait l’impression que son copain savait où il allait. Là-bas, ils ont trouvé les Arabes, Raymond a voulu exciter son type pour faire déclencher un conflit, et comme l’Arabe n’a pas répondu à ses fantaisies, il a fait gardé le revolver chez Meursault qui va l’utiliser plus tard à tuer le même homme.
Par malignité de Raymond et par  duperie de Meursault, celui-ci s’est trouvé droit dans les toiles d’araignée, exécutant une vengeance qui n’est pas la sienne, et subissant une condamnation sans issue. Quoique le témoignage du malin était en sa faveur, mais il a su tisser les fibres du complot que toutes les défenses du monde ne pourrait démonter son innocence, la lettre à l’origine du drame était de son écriture et le témoignage au commissariat n’ont fait que rouler la corde autour de son cou.  Raymond a réussi à avoir deux oiseaux d’un même coup, se montrer de son parti, tout en le faisant tomber dans un abîme sans issu.
Raymond est un être extrêmement malin, il a su comment se profiter des points faibles de Meursault pour l'utiliser à son grès. Ainsi, et accédant à satisfaire les besoins d'ordre physique de ce dernier, il a pu se procurer son obéissance totale, et va réussir par là-même, en expert comploteur, à l'engager à commettre un crime pour lui assurer une sûreté définitive. Il symbolise Israël, réussissant à entraîner l'Occident à déclencher une guerre, qui n'est pas la sienne, pour instaurer la paix du pays sioniste.




[1] Ibidem, p.32
[2] Ibidem, p.52
[3] Ibidem, p.42

Roland Barthes: plaisir du texte, plaisir de la vie

Tout être humain éprouve du plaisir pour certaines choses dans la vie, à titre d’exemple : le sport, le voyage, le jeu, le cinéma, la lecture, la peinture… pour ceux qui prennent du plaisir de la lecture, leur degré de jouissance diffère d’un texte à un autre. C’est également ce que Roland Barthes a essayé de traiter, dans Le plaisir du texte, donnant accès à une nouvelle théorie du texte, celle du plaisir. En effet un texte qui produit le plaisir est un texte écrit en plaisir : « Le texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire. Cette preuve existe : c’est l’écriture. L’écriture est ceci : la science des jouissances du langage ». Cette jouissance aura lieu quand on accédera à la déconstruction des lois de « la langue, son lexique, sa métrique, sa prosodie », mais aussi des édifices idéologiques, des solidarités intellectuelles. Bref, c’est de la destruction de touts les canons, les règles, les lois et les valeurs sociales et politiques qu’il s’agit ici, car la jouissance, selon Barthes, est asociale.
Barthes dans une métaphore extraordinaire compare le texte à un corps féminin séduisant. De même que celui-ci enchante  les yeux en se déshabillant graduellement le texte suscite le plaisir des lecteurs en se dévoilant petit à petit. Le plaisir de voir se déshabiller, peu à peu, une danseuse  dans un bar s’échelonne jusqu’à atteindre son apogée : la vue de son sexe nu, est le même de dévoiler peu à peu un texte jusqu’à atteindre sa fin ou sa morale. Et un lecteur précipité, qui peut enjamber les passages pour arriver rapidement sur la fin, est exactement celui qui se lève vers la danseuse essayant de la déshabiller, vite, précipitant le top ou le laps : la voir entièrement nue.
Un texte de plaisir est «  celui qui contente, emplit, donne de l’euphorie ; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est lié à une pratique confortable de la lecture. » Le texte de jouissance est « celui qui met en état de perte, celui qui déconforte (…), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses goûts  de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage. »
Le plaisir du texte exige l’exclusion de l’idéologique. Cela répond aux principes du Structuralisme qui considère le texte comme une structure renfermée sur elle-même. Mais l’intention de Barthes semble être autre qu’une exigence structurale. Annonçant que le plaisir du texte est une destruction des valeurs auxquelles on doit renoncer, il invite à combattre la répression idéologique et la répression libidinale. Bref, on doit rejeter l’idéologie qui englobe la politique la société, ses valeurs et ses institutions, et le langage.
En effet, le plaisir du texte nécessite la défection du langage, et non pas de la langue, car le langage reflète l’idéologie d’une classe. Le texte doit, donc, se tirer des sociolectes, des fictions : « j’irai jusqu’à jouir d’une défiguration de la langue, et l’opinion passera les hauts cris, car il ne veut pas qu’on « défigure la nature ». »C’est donc de la défiguration de la nature qu’il s’agit ici. Mais enfin qu’est ce qui est de ne pas naturel chez Barthes ?
Le plaisir nécessite qu’on renonce au social car la jouissance est asociale. « Elle est la perte abrupte de la société ». Pour Barthes, ce qui est débordé c’est l’unité morale que la société exige de tout produit humain. Qu’y a-t-il d’immoral chez l’auteur du plaisir du texte ? Et pourquoi cette volonté sérieuse de stigmatiser le rôle de la société ? La société compromet l’art et la jouissance n’a de chance qu’avec le Nouveau absolu pour s’échapper à l’aliénation de la société. Il refuse par cette fuite en avant la répétition qui est le langage des institutions officielles. Le plaisir est toujours déçu, réprimé, « son rival victorieux, c’est le Désir : on nous parle sans cesse du Désir, jamais du Plaisir ; le Désir aurait une dignité épistémique, le plaisir non. » Et voici la réponse à toutes nos questions rapportées. Cette guerre acharnée sur l’idéologie, la société et ses valeurs n’est qu’une tentative désespérée de la part de Barthes pour légitimer son homosexualité jusque-là rejetée socialement pour son immoralité. Et ce qui oppose le désir au plaisir c’est la naturalité du premier et la sur naturalité du deuxième. Car le désir se produit entre des humains de sexe différent,  le plaisir peut s’élargir pour contenir un désir contre nature celui des personnes du même sexe, d’où la dignité de l’un et l’indignité de l’autre. C’est également pourquoi Barthes refuse les analyses socio- idéologiques qui voient dans les écrivains des déçus et des impuissants. Ce qu’il cherche en fin de compte c’est une reconnaissance de son droit au plaisir et à la jouissance.
Le plaisir du texte exige, aussi, le rejet du politique car « le texte est (devrait être (cette personne qui montre son derrière au père politique. ». Etant un fait politique, le stéréotype est renoncé parce qu’il est la figure de l’idéologie. Il est le mot répété hors de toute jouissance. « L’opposition (le couteau des valeurs) (…) est toujours et partout entre l’exception et la règle. La règle c’est l’abus, l’exception ; c’est la jouissance ». Cet amour et cet enthousiasme pour l’exception émanent de la prise de conscience de Barthe de sa différence, de sa déviation de la règle, d’où sa crainte d’être rejeté par une société qui renonce aux déviants. Et c’est également pourquoi il signale que « la méfiance à l’égard du stéréotype (…) est un principe d’une instabilité absolue, qui ne respecte rien » rêve  cher à Barthes dont il chante la réalisation à tout prix. Pour lui rien de plus jouissant que de mener une vie de liberté où tout est accessible sans tutelle de la société, ses mœurs et ses valeurs, de la politique et sa domination et des considérations morales.
 Refusant les idéologies qui font obstacle à la jouissance, non seulement textuelle mais aussi sexuelle, Barthes rejette aussi les systèmes que le texte défait et ne reconnait que la jouissance comme seule loi. Elle est la perversion qui est la recherche à contrarier la morale sexuelle essayant de fondre une autre dont l’homosexualité ne soit pas inhabituelle. « Cependant la perversion ne suffit pas à définir la jouissance, c’est l’extrême de la perversion qui la définit ».C’est l’abolition de toutes les limites, de toutes les contraintes : « le plaisir du texte est le moment où mon corps va suivre ses propres idées ». Ce plaisir peut prendre la forme d’une dérive. Celle-ci «  advient chaque fois qu’on ne respecte pas le tout ». C’est la Bêtise à vrai dire.
Le plaisir ou la jouissance nécessite donc l’abolition de tous les pouvoirs y comprit celui de l’écrivain  qui n’a plus aucune parenté sur son œuvre. C’est « la mort de l’écrivain ». Le plaisir « peut gêner le retour du texte à la morale (…) c’est  un indirect ». C’est également le cas du texte qui ne nomme pas les choses mais les dit. Et c’est aussi le cas de Barthes qui ne nomme pas sa jouissance ou son plaisir mais les dit aussi. En effet il n’ose pas les nommer. C’est très tôt pour le faire. La jouissance du texte « est précoce, elle ne vient pas en son temps, elle ne dépend d’aucun mûrissement. Tout s’emporte en une fois. » Voilà ce qui explique son réserve à annoncer son vrai plaisir, de sortir à la lumière sa vraie jouissance son homosexualité. Mais comme il fait très tôt pour le faire, il doit se patienter et attendre mûrir les faits et les événements. Mais cela lui vaut actuellement une vie de souffrance silencieuse : « et je m’écris comme un sujet actuellement mal placé, venu trop tard ou trop tôt ». En effet c’était tôt et pas tard. À nos jours et avec les droits et les avantages desquelles jouissent les homosexuels, ce pauvre Barthes n’aurait pas grande peine à accéder à sa jouissance.
Pour conclure, qu’il s’agit du plaisir textuel ou du plaisir sexuel, de la jouissance du texte ou de la jouissance homosexuelle, Barthes, et n’importe qu’il soit le penchant qui lui travaillait, a réussit à fonder une théorie qui explique pourquoi on salive pour un texte  accrochant autant que pour un repas délicieux ou un corps excitant.




Roland Barthes, Le plaisir du texte, éd.du Seuil, 1973, Paris, p.13-14
Ibid, p.17
Ibid, p.25
Ibid, p.25-26
Ibid, p.61
Ibid, p.63
Ibid,p.91
Ibid, p.84
Ibid, p.67
Ibid, p.69-70
Ibid, p.83
Ibid, p.30
Ibid, p.32
Ibid, p.102
Ibid, p.84
Ibid, p.99

vendredi 25 octobre 2013

Les mythes modernes dans le recueil Alcools de Guillaume Apollinaire

Par Fatima EL BOUANANI

1. LA VILLE MODERNE

Apollinaire est fasciné par l’évolution industrielle qui évoque à son tour une évolution culturelle. Citant les aspects de ces évolutions, il explicite sa fascination par la ville, et notamment par Paris dont il est épris par les jolies rues neuves et propres, par « Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes »[1], par ses soirs flambant de l'électricité et par les tramways et les feux verts.
Paris devient, sous la révolution française, le centre de l’univers. Toutes les villes de France, d'Europe et du monde répondent à son appel et viennent désaltérer sa soif avec leurs maisons et leurs habitants. Et la ville requiert un caractère divin :
Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières
Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières
Désaltère-toi Paris avec les divines paroles
 [2]

 2. LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Vendémiaire est le poème qui clôt alcools. Le titre à lui seule est significatif : c’est le nom du premier mois du calendrier révolutionnaire. Le poète évoque cette époque de changements politiques incroyables. C’est l’époque qui a mis fin aux empires successifs de l’histoire de la France : « Je vivais à l'époque où finissaient les rois »[3].
Les Français sacrifient leur vie et font couler, volontiers, leur sang pour l’honneur de la France présentée par la capitale Paris à qui le poète attribut des caractères divins. Il devient un dieu qui « Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang »[4]. Les cadavres des morts sacrifiés pour Paris sous la révolution française sont des grappes, des grains ou des raisins vendangés pour en tirer le sang qu’aime à boire Paris :

Et ces grappes de morts dont les grains allongés
Ont la saveur du sang de la terre et du sel
Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel
 [5]
Le sang seul désaltère Paris assoiffé. Pourtant le sang français est digne de réaliser cette révolution. Et les Français sont prêts à se sacrifier. Ils sont des grains suffisamment mûris pour saigner abondamment sous le pressoir de façon à atténuer cette soif terrible dont souffre Paris : « Tu boiras à longs traits tout le sang de l'Europe »[6].
Pourtant Paris-France mérite ces sacrifices pour plusieurs raisons : « Parce que tu es beau et que seul tu es noble »[7], et « Parce que c'est dans toi que Dieu peut devenir »[8]. C’est également pourquoi tous Ces morts sacrifiés sont fiers de leur exploit qui gagne en sainteté.
Dans son Poème lu au mariage d’André SalmonApollinaire semble bien détourné de ses convictions révolutionnaires. La révolution n’est plus capable de produire des renouvellements. Il affirme que la poésie est seule capable de renouveler le monde. De ce fait, ce sont les poètes qui deviennent des héros patriotes et doivent avoir droit que l’on les honore nationalement : « On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s'y marie »[9]. La liberté et la démocratie sont, donc, illusoires. La seule liberté est la liberté végétale que fournit la nature dans laquelle aiment puiser les poètes :
Ni la pudeur démocratique veut me voiler sa douleur
Ni la liberté en honneur fait qu'on imite maintenant
Les feuilles ô liberté végétale ô seule liberté terrestre
 [10]
Mais cela ne nie en aucun cas la vérité que la révolution a rendu aux citoyens leur vie et leur a donnés des choses à défendre : « […] les drapeaux claquent aux fenêtres des citoyens qui sont contents depuis cent ans d'avoir la vie et de menues choses à défendre »[11].
 
 3. PROGRÈS

Dans Zone, le poète exprime, en s’adressant au Tour Eiffel, sa lassitude de ce monde ancien et son goût pour la modernité : « À la fin tu es las de ce monde ancien »[12]. C’est le progrès qui peut apaiser sa soif pour la modernité qui dépasse même les choses les plus modernes. Ainsi même les automobiles ont l'air d'être anciennes. Ce progrès au rythme extrêmement rapide fascine le poète qui s’élance à citer ses aspects comme les journaux, « […] les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières »[13], Les directeurs, les ouvriers, les belles sténo-dactylographes et les troupeaux d’autobus. Images agréables qui satisfont à l’ambition sans frontières du poète à un idéal, au luxe: « J'aime la grâce de cette rue industrielle  »[14].
Mais l’invention qui lui ôte toute raison est l’avion. Il la décrit dans la langue d’un croyant ardent. Il est Dieu ou Christ. « Il détient le record du monde pour la hauteur »[15]. La rapidité de l’avion rend l’errance moins douloureuse : de Marseille à Coblence, de Rome à Amsterdam, le monde devient un petit village, facile à parcourir. Et l’espace réel devient imaginaire en perdant la distance qui sépare ses coins.
Cette invention dont la puissance surmonte les miracles évangéliques et les records humains étonne le poète. Étonnement qui semble bien être justifié si l’on connaît que même les êtres mystérieux sont enchantés par le génie de cette découverte :
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée […]
Les anges voltigent autour du joli voltigeur 
[16]
Créatures mythiques, prophètes, prêtres, sont tous épris par la nouvelle invention. Après avoir aéré, l’avion se pose sans refermer ses ailes. Tous les oiseaux volants du monde, réels ou mystérieux, viennent assister à ce spectacle aérien. Spectacle où ne manquent pas le phénix et « Les sirènes laissant les périlleux détroits »[17]. Toutes ces créatures mythiques ou réelles se trouvent obligées à céder à la volonté de l’avion chantant sa satisfaction. C’est alors qu’Aigle, Phénix et pihis de la Chine se voient obligés à fraterniser avec la volante machine.
Le progrès devient la religion du poète dans la mesure où il satisfait à son aspiration au renouvellement voire à l’idéal. Cette religion à laquelle il croit aveuglement rend honteux d’exercer le culte d’une autre, jugée dépassée et ancienne : « Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière »[18].
Dans Les Fiançailles IV, l’invention poétique est assimilée à une électricité qui jaillit dans la mémoire. Du point de vue de l’innovation, elles ont la même valeur :
Aux yeux d'une mulâtresse qui inventait la poésie
Et les roses de l'électricité s'ouvrent encore
Dans le jardin de ma mémoire 
[19]
La belle femme, dont parle1909, devient une machine. Le fer est son sang, la flamme son cerveau. Puis Apollinaire explicite son enthousiasme pour la révolution industrielle et scientifique : « J'aimais j'aimais le peuple habile des machines » [20]. Le luxe et la beauté ne sont que les produits de cette révolution industrielle. Et l’idéal féminin devient un signe du progrès dont le rythme étonne effroyablement. Cette dame à la beauté frappante ne serait que la France, couronnée capitale du progrès :
Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges
Elle avait un visage aux couleurs de France
 [21]

4. L’ORIENT

Rosemonde, maîtresse du roi, conçue la plus belle de toutes les femmes du monde, devient femme de ses pensées mais dont la beauté ne peut égaler l’orient : « Dont ni perle ni cul n'égale l'orient » [22]
C’est la patrie vers la quelle immigrent les pensées : « De rêveuses pensées en marche à l'Orient »[23]. Cet Orient, visée de toutes les pensées, est l’Orient que chantent les poètes. Idée accentuée par la "O" majuscule.
 
 5. LA FEMME AUX BEAUX YEUX ET AUX CHEVEUX LONGS

Le batelier de la Nuit rhénane raconte l’histoire des fées qui laissent «Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds » [24] et qui enchantent l’été. Pourtant l’été ne semble pas le seul à être enchanté par ces cheveux longs, le poète aussi dévoile sa fascination par ces cheveux. Il demande de mettre, auprès de lui, toutes les filles blondes « Au regard immobile aux nattes repliées »[25]. Les cheveux longs de La Loreley sont à la merci du vent : « Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés »[26]. Les déités des eaux vives de Clotilde laissent couler leurs cheveux. Elles s’identifient à la bien-aimée :
Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux 
[27]
S’adressant à Marie, il évoque le sujet des cheveux longs qui voyagent mais à un lieu ignoré, symbole de la perte de maîtrise de leur relation jusque-là rompue. Le poète exprime son goût pour les beaux paysages, naturel et humain qui interagissent pour ne devenir qu’un seul. En effet, La Loreley est à la fois le beau rocher et la belle femme aux cheveux de soleil que mire l’eau : « Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil »[28].
La dame de 1909 a des yeux angéliques. Ce sont des yeux bleus qui ajoutent à une nature, originellement, belle : « Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges »[29]. Ces beaux yeux exercent sur le poète un effet incroyable. Ceux de son amante, dont les regards ont une puissance extraordinaire, traînent les étoiles. De plus ils ont sur lui un effet de sirènes. Ils les assimilent même: « Dans ses yeux nageaient les sirènes  »[30]. Ils sont beaux mais vénéneux comme les colchiques :
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne [31]
Les yeux des sirènes fascinent le poète, ils font allusion à Annie, Marie et toute femme qui a affectionné le poète. Les pétales fleuris des cerisiers lui rappellent de la bien-aimée. Ils sont « [...] comme ses paupières »[32].




[1] Guillaume Apollinaire, Zone, Alcools, Gallimard, Paris, 2008, p.32
[2] Ibid
[3] Guillaume Apollinaire, Vendémiaire, Ibid, p.234
[4] Ibid, p.236
[5] Guillaume Apollinaire, Vendémiaire, Ibid , p.237
[6] Ibid, p.239
[7] Ibid
[8] Ibid
[9] Guillaume Apollinaire, Poème Lu au Mariage d’André Salmon, Ibid, p.108
[10] Ibid
[11] Ibid, p.110
[12] Guillaume Apollinaire, Zone, Ibid, p.31
[13]  Ibid, p.32
[14] Ibid
[15] Ibid, p.33
[16] Ibid
[17] Ibid, p.34
[18] Guillaume Apollinaire, Zone, Ibid , p.35
[19] Guillaume Apollinaire, Les Fiançailles IV, Ibid, p.201
[20] Ibid, p.222
[21] Ibid, p.221
[22] Guillaume Apollinaire, Palais, Ibid, p.81
[23] Ibid
[24] Guillaume Apollinaire, Nuit rhénane, Ibid , p.177
[25] Ibid
[26] Guillaume Apollinaire, La Loreley, Ibid, p.183
[27] Guillaume Apollinaire, Clotilde, Ibid, p.96
[28] Ibid, p.184
[29] Ibid
[30] Guillaume Apollinaire, Voie lactée I, Ibid, p.50
[31] Guillaume Apollinaire, Les Colchiques, Ibid, p.79
[32] Guillaume Apollinaire, Mai, Ibid,