L'étranger de Camus: des personnages signifiants
Par Fatima El Bouanani
Chacun des personnages de L'étranger
joue une fonction symbolique dans le roman. Ce ne sont pas de simples acteurs
dont le rôle se limite par les bornes de l'histoire, mais invitent à de
profondes réflexions pour en déceler la vraie signification. Meursault,
Raymond, Marie, Masson et les Arabes sont donc des personnages à doubles
fonctions qui, en faisant tisser les fils de l'histoire initiale du roman,
suggèrent, par l'épaisse signification de leurs noms, leurs caractères et leurs
rôles même, une autre plus profonde et plus universelle.
Meursault
Le héros du roman est le personnage le
plus signifiant par la singularité de ses caractères et par sa fonction dans
l'histoire. En effet, ce sont les premiers, les caractères, qui précisent son
rôle et qui lui en préparent les moyens pour l'accomplir. Il est bizarre, méconnaissant et
matérialiste.
Un personnage "bizarre"
Meursault est un personnage bizarrement
passif qui agit, non selon ses convictions personnelles, mais selon la
commodité. Sa passivité nous donne l'impression que l'on est devant un robot
minutieusement dirigé par une télécommande. Il ne sait jamais refuser,
contrarier ou donner son avis. Il a accepté de se marier avec Marie parce
qu'elle le lui avait demandé, et ne saurait le refuser à n'importe quelle autre
femme. De surplus quand il a envie de se débarrasser de quelqu'un qu'il écoute
à peine, il a eu l'air d'approuver. Ses opinons
ne sont guère basées sur un raisonnement logique, il n'est pas maître de
soi-même. C'est l'absurde. C'est la dépendance totale qui trouverait qui
saurait habilement en tirer profit.
Il est aussi un être pessimiste, sans
ambitions, d'ailleurs il les a perdues après avoir quitté ses études. C'est
également pourquoi il a refusé une exposition du travail à Paris. Cela parait
incroyable pour un jeune homme de son âge, mais cette ville si éblouissante ne
l'attire guère, il la trouve «sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les
gens ont la peau blanche[1].»Voila
comment voit-il la capitale des rêves, Paris, et comment voit-il le monde et la
vie elle-même. Effectivement cette dernière n'a pas de sens et il en est
indifférent.
Voilà en somme la mentalité paralysée de
Meursault, mais lorsque la pensée s'absente, les sentiments la remplacent pour
réaliser un certain équilibre. Le pire est que ceux aussi sont absents chez
notre héros, c'est un homme vide sans âme dont la froideur est le grand titre,
il enterre sa mère avec toute l'insensibilité du monde. C'est un athée qui ne
croit pas en un dieu qu'il ne voit pas, et garde un caractère taciturne et
renfermé envers les autres et envers lui-même. Il est étranger en soi, et la
vie ne le regarde pas, c'est effectivement pourquoi il garde le sang froid, même
en risquant sa vie, après avoir été condamné à mort. En effet tout lui est
égal.
Un méconnaissant
Meursault est un personnage froid,
insensible et indifférent, on le juge mal dans le quartier, parce qu'il a mis
sa mère dans l'asile des vieillards, et l'a quittée à son sort jusqu'aux
derniers moments de sa vie, mais cela lui parait naturel puisqu'il n'a pas
assez d'argent et puisqu'elle n'a rien à lui dire. Elle est inconnue pour lui,
il ignore son âge. Et tant qu'elle n'a rien à lui dire, son rôle est fini là.
Elle doit être retraitée et posée à l'écart comme toutes les vieilles choses.
Les engagements familiaux s'anéantissent ici au profit des considérations
purement matérialistes.
Contrairement à Salamano, le voisin qui
reste fidèle à son chien dégoûtant par ses croûtes qu'il pleure
chaleureusement, lui il n'éprouve aucune affection envers l'auteure de ses
jours, jetée à l'asile sans lui rendre aucune visite la dernière année de sa
vie, parce que cela lui coûte « le dimanche- sans compter l'effort pour aller à
l'autobus, prendre des tickets et faire deux heures de route[2].»
C'est une muette, réduite au silence et à
la négligence au déclin de sa vie de la part de
son chou de cœur, insensible à son sort. Insensibilité qui tient son
apogée avec la mort de celle-ci. Nulle affection, nulle tristesse, juste une
indifférence comme s'il n'avait aucun lien avec la défunte, et une anxiété car
il devait veiller péniblement sur l'enterrement, c'est un surcharge de plus. Et
sans faire couler aucune larme, sans faire les derniers adieux à la décédée,
sans jeter aucun regard sur elle, il va l'enterrer comme on enterre une
inconnue, sans même se rappeler des détails des funérailles, mais se rappelle
seulement de sa joie de retour parce
qu'il va se «coucher et dormir pendant douze heures[3]»,
pour continuer, le lendemain, à se
réjouir de sa vie comme si rien n'a été passé. D'ailleurs cette page a été
définitivement détournée.
Un matérialiste
Le protagoniste a une nature telle que
ses besoins physiques dérangent ses sentiments. Ainsi tout ce qui le tourmente,
dans sa prison, sont des besoins d'ordre physique tels les femmes, les
cigarettes et le sommeil. Pour lui, ôter quelqu'un sa liberté c'et le priver de
toutes ces choses. Mais il a réussi à
les surmonter tous, le désir des femmes par les souvenirs de toutes les femmes
qu'il a connues; les cigarettes par sucer du bois; il a arrivé même à tuer le
temps par le biais du jeu des souvenirs.
Les besoins physiques sont alors à
l'origine de tous ses malheurs. Et comme il est bizarrement impuissant à les
surmonter, il y cède aveuglement sans en considérer les conséquences. C'est
alors que pour fuir les pleurs des femmes dans le cabanon, après la blessure de
Raymond, il revient sur la plage sous le soleil brûlant. Et pour échapper à cette dernière et à la chaleur étouffante de
la plage, il va revenir sur la source de l'eau et tuer l'Arabe. Il a tiré le
premier coup et il a attendu un peu, et sous l'influence de la plage rouge et
du sentiment de la brûlure sur son front, il va tirer les quatre autres coups.
Ces besoins physiques témoignent d'une puissance majeure sur lui, ils sont
toujours là pour le porter sur toute autre chose, même dans les situations les
plus décisives. C'est également le cas dans la scène du procès, il a mal suivi
le juge dans son raisonnement, parce qu'il a chaud, et parce qu'il y a de
grosses mouches posées sur sa figure. Et lors de la déclaration du jugement,
une trempette d'un marchand de glace,
qui a raisonné jusqu'à lui, va l'égayer pour n'avoir qu'une seule hâte, que cette scène se termine.
Son corps a donc tout le pouvoir sur lui,
et les sentiments n'ont aucune considération, ni envers l'auteure de ses jours
ni envers la femme qu'il a choisie pour passer avec le reste de sa vie. En
effet, sa relation avec elle est purement physique. Elle ne l'aime pas, pour
lui l'amour «cela ne voulait rien dire[4]».
Ce sont les besoins physiques son vrai moteur. Et Raymond a su s'en profiter,
il lui offre généreusement cigarettes, repas et vin pour s'assurer de sa
servitude totale qu'il va utiliser malignement à son profit. Il devient son
chien fidèle qui va jusqu'au bout dans l'obéissance aveugle. Pardon cela semble
plus bas que l'animalité car le chien, outre ses besoins physiques, réussit
souvent à tisser des liens sentimentaux avec son bienfaiteur. Meursault n'en a
pas, et n'écoute que son corps qui va le guider à commettre un crime. Mais pour
lui, tuer pour l'argent c'est tout à fait naturel, d'où son indifférence à la terrible histoire du tchèque, tué par sa
mère et sa sœur pour des considérations purement matérialistes.
Meursault est un homme naïvement passif
et froid, sans assise morale, ni sentiments humains, bizarrement insensible,
purement matérialiste, méconnaissant envers celle qui lui a donné le jour,
extrêmement égoïste, doté d'une rare servitude et ayant une aptitude naturelle
à tout faire pour satisfaire ses besoins physiques sans en considérer les
conséquences, symbolise par là l'Occident chantant à réaliser des privilèges
économiques, suivant aveuglement Israël et prêt à mener des guerres pour la
défendre.
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